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Les rencontres des transitions – Webinaire #9

Vers une Sécurité Sociale de l’Alimentation : la caisse locale de l’alimentation de Cadenet

Le 10 décembre 2024, de 18h à 19h

De nombreuses expérimentations de caisses locales d’alimentation émergent partout en France, de Brest à Montpellier, en passant par Bordeaux, Lyon, et autres grands bassins de vie urbains. Conjointement, d’autres initiatives – moins connues ou médiatisées – fleurissent aussi en milieu rural, dans des territoires qui sont à la fois particulièrement vulnérables aux externalités négatives du système agricole et alimentaire actuel, et où émergent de nouvelles pratiques et modèles.

A Cadenet, village du Vaucluse de 4300 habitant⸱es, 33 volontaires tiré⸱es au sort font l’expérience depuis le 7 novembre 2023 de leur propre caisse locale d’alimentation. Processus de construction, fonctionnement démocratique, système de conventionnement, venez découvrir l’origine et les premières observations de cette expérience démocratique passionnante !

Avec Mathilde de l’association Au Maquis et Victoria du Comité Local de l’Alimentation de Cadenet (CLAC).

Lien vers l’enregistrement de l’intervention.

Lien vers la fresque de l’alimentation 2052.

Retranscription de la séquence de questions avec le public

Actuellement vous continuez de vous former, sur quoi ? Avec quels outils ?

Victoria : L’acquisition de connaissance fait partie intégrante de notre fonctionnement. Lorsqu’une décision importante doit être prise, par exemple sur la création d’une caisse d’investissement, ou bien l’intégration de contributions volontaires dans le financement de la caisse locale de l’alimentation de Cadenet (CLAC), le temps de débat est toujours précédé d’un temps de formation sur le sujet traité, permettant au final de prendre les décisions en connaissance de cause. Le choix des sujets peut aussi dépendre des envies du groupe. Au lancement de la caisse, avec l’intégration de nouvelles personnes dans le groupe deux-trois petites « formations de base » ont été organisées pour aborder brièvement les systèmes alimentaires et d’autres expérimentations de caisse locale de l’alimentation (Dieulefit, Montpellier). Plus récemment, parmi les thèmes abordés, on retrouve la question de la cotisation sociale (avec une conférence gesticulée de Franck Lepage), Denis Lairon est intervenu sur le lien entre alimentation et santé, Tanguy Martin sur les communs… Et puis au-delà des interventions, des vidéos, des arpentages, des podcasts alimentent aussi nos réflexions.

Et comment se fait le choix des intervenants ?

Mathilde : On essaye de mobiliser les réseaux des membres du CLAC, de l’association Au Maquis et du mouvement national pour une sécurité sociale de l’alimentation.

Victoria : Étant donné le peu de moyens dont on dispose pour défrayer des intervenants, ce sont souvent des personnes motivées et volontaires pour intervenir bénévolement.

Et après ? Est-ce que vous avez des pistes pour la suite du projet, au terme de la première année d’expérimentation de la caisse locale de l’alimentation en avril 2025 ?

Mathilde : A ce jour le collectif a obtenu un autre financement de 60.000€ pour prolonger l’expérimentation pendant un an, ce qui laisse du temps pour réfléchir à des évolutions de la caisse. Le prochain temps de réflexion sera d’ailleurs sur la question des « contributions volontaires » (terme que l’on préfère à la notion de cotisations sociales dans le cadre de notre expérimentation). Actuellement, un groupe de travail « Pérenniser la caisse » travaille sur la question de la poursuite de l’expérimentation.

Victoria : D’ailleurs pour faire le lien avec la question de la formation, le collectif réfléchit en ce moment sur les financements privés et à la création d’une « charte de valeurs » pour guider le choix des futures subventions qui permettront de pérenniser la caisse.

Vous avez mentionné le fait qu’au départ de la caisse les participants « n’étaient pas militants », qu’est ce que vous entendez par là ? Et est-ce que vous avez eu l’impression de devenir « militants » à mesure de l’expérimentation ?

Victoria : Ce mot « militant » j’avoue que je ne sais pas vraiment ce qu’il veut dire. Pour moi il représente des gens qui luttent activement, au quotidien, contre ou pour quelque chose, qui passent beaucoup de temps à se former, s’informer sur leurs luttes. Ce sont des personnes qui vont manifester, tracter, qui font partie d’associations ou bien dont le travail est lié à des luttes. Au départ la plupart des participants, du conseil, et maintenant de la caisse locale de l’alimentation de Cadenet ne rentraient pas dans cette définition. Mais oui, en participant à un projet démocratique comme celui-ci, en s’appropriant le sujet de l’accès à l’alimentation, ensemble, à force, on devient militant. On se sent plus légitimes à parler, à oser, à prendre des initiatives, à être sur le terrain. Ce qu’on fait maintenant, je pense, est un acte militant.

Si vous n’étiez pas militante, qu’est ce qui vous a donné envie de venir au CLAC ?

Victoria : En tant qu’ouvrière agricole dans le domaine du maraîchage, j’observais une grande souffrance, une qualité de vie déplorable dans les fermes où je travaillais, alors que le cadre de vie paraissait pourtant magnifique. Certains sont déprimés, font des burn-out, ne partent pas en vacances, ne se payent pas, et parfois même détestent leurs clients ! On en vient à se demander pourquoi est-ce qu’ils restent là ! Moi qui arrivais avec cette vision romantisée de la paysannerie avec un projet d’installation, j’ai vite déchanté. La découverte du projet de sécurité sociale de l’alimentation m’a tout de suite beaucoup intéressé. Si un jour on arrive au bout de ce projet, je deviendrai paysanne, maraîchère. Pas avant, c’est la condition !

Dans votre expérience, qu’est ce qui motive vraiment les gens à prendre part dans une caisse locale de l’alimentation ? Est-ce la question environnementale ? La question sociale ? L’expérience participative ?

Mathilde : Je dirais l’aventure démocratique. Pratiquer réellement la démocratie et pouvoir décider nous même ce qui est bon pour nous. A la première réunion publique, après la présentation du projet de caisse locale, on a proposé aux participants de se mettre par petits groupes avec un ou une membre du CLAC pour répondre à leurs questions. Ce qui est ressorti de ces échanges, ce qui faisait « rêver » les gens, c’était la possibilité de choisir soi-même son alimentation, les produits qui allaient être conventionnés. C’est ça qui a vraiment marqué les esprits.

Victoria : Je pense que chaque personne a sa motivation qui lui est propre. Ça peut être l’envie de changer drastiquement le système alimentaire, d’agir pour offrir à ses enfants un futur plus désirable, d’œuvrer à donner accès à tout le monde à une alimentation durable, de qualité et choisie. Mais ce qui ressort vraiment c’est l’idée que l’on ne peut pas faire ça seul ! A plusieurs on a une réelle force de proposition et de changement, à condition d’avoir un espace où les opinions de chacun sont écoutées, respectées, et débattues.

Aujourd’hui on entend beaucoup parler de ces expérimentations de sécurité sociale de l’alimentation qui naissent un peu partout. Auriez-vous des conseils à donner pour des groupes qui voudraient se lancer ?

Victoria : Mon conseil, c’est faites avec ce que vous avez, avec les gens qui sont là et avancez ! Une des inquiétudes qui revient souvent est le fait de ne pas avoir un groupe assez hétérogène, assez représentatif en termes de mixité sociale, économique. Mais il faut avoir conscience que la représentativité est un objectif difficile à atteindre dans tous les cas. Ça ne doit pas vous empêcher de vous lancer ! Commencez petit, entre vous, et voyez où ça vous emmène !

Mathilde : Aussi, prenez-votre temps ! La démocratie ça prend du temps. D’abord pour construire une connaissance de cause commune et déconstruire les rapports de domination par le savoir. Ces rencontres doivent aussi permettre à chacun de s’exprimer, et de s’affranchir des injonctions à l’efficacité, à l’opérationnel qui contraignent traditionnellement ce type de projet.

Est-ce que vous pourriez revenir sur le système de conventionnement et les différents pourcentages de prise en charge ?

Victoria : Chaque produit individuel proposé dans un des points de vente concerné par la caisse locale est pris en charge à hauteur de 100, 70, 30 ou 0 % pour les membres de la CLAC. Ces pourcentages sont décidés sur la base d’un conventionnement qui prend en compte toutes les étapes du cycle de vie du produit (production, transformation, distribution, déchets) sur des critères environnementaux, de santé humaine, des conditions de travail et la taille des structures de production, transformation, distribution, et l’indépendance vis à vis de agro-industrie. Par exemple, une carotte bio, qui pousse à moins de 5km de Cadenet dans une ferme à taille humaine, sera remboursée à 100 %. A l’inverse, une carotte non-bio, mais locale, ou une carotte bio mais produite à l’extérieur du territoire pourra être remboursée à 30 %. Le taux de remboursement à 70 % nous permet d’intégrer des produits pour lesquels il nous manque des informations, ou bien pour lesquels le collectif considère que des améliorations réalistes pourraient permettre de rendre le produit complètement remboursable. A terme ce conventionnement à taux différencié doit avoir un caractère transformateur, à la fois en promouvant la consommation de produits et certains modes de production/transformation/distribution en accord avec les valeurs de la CLAC. Pour autant on a conscience qu’un groupe de notre taille n’a pas un pouvoir incitatif énorme, c’est le début !

Mathilde : Ce système de prise en charge différencié s’inspire du taux de prise en charge des médicaments selon leurs bénéfices pour la santé. Pour nous la grille de lecture est la participation à l’accomplissement de notre rêve pour Cadenet en 2052 illustré par notre fresque. Ce système doit aussi nous permettre de « faire alliance » avec les professionnels de l’alimentation. Par exemple, l’épicerie du village de Cadenet, qui proposait beaucoup de produits issus de l’agriculture conventionnelle, exprimait comme frein à sa transition le manque de temps disponible pour réfléchir à d’autres sources d’approvisionnement. Le rôle de la caisse locale est aussi d’accompagner ces transitions vers l’amélioration de leurs pratiques.

Cet entretien est une synthèse des échanges qui ont suivi l’intervention de Mathilde et Victoria. Les propos ont été adaptés afin de refléter l’essence des discussions tout en en facilitant la compréhension et la lisibilité.

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