On doit au naturaliste Carl von Linné, aujourd’hui considéré comme le père du concept de biodiversité, le propos ci-après tenu en 1735 alors que la machine à vapeur prenait tout juste son essor :
Si une seule fonction importante venait à manquer dans le monde animal, on pourrait craindre le plus grand désordre dans l’univers.
Le moins que l’on puisse dire est bien que notre civilisation fascinée et façonnée comme on le sait par la technique ne s’est guère embarrassée de considérations de ce type, préférant même tourner en dérision le «principe de précaution ». L’érosion de la biodiversité, le dérèglement climatique et maintenant l’épidémie du coronavirus en apportent la triste illustration… La réalité nous conduit aujourd’hui à reconnaitre qu’un effondrement de notre civilisation, annoncé par ceux que l’on désigne sous le terme de collapsologues, devient bien une hypothèse plausible.
Les jeunes, en particulier, la prennent de plus en plus au sérieux nous reprochant, avec raison, de leur léguer une planète moins riche, moins fertile, moins belle et moins habitable que celle que nous avons nous-mêmes reçue en héritage. C’est là une première dans l’histoire de l’humanité et elle doit nous interpeller…
Ce ne sont pas de simples inflexions à la marge qui vont maintenant suffire et c’est même un profond changement de civilisation qui va s’avérer nécessaire pour redonner du sens et de l’espérance. Il implique de bien relier entre elles les questions économiques, sociales et écologiques, et surtout de substituer à la compétition qui est devenue le crédo de notre société des démarches fondées sur de toutes autres valeurs… Il nous faut comme nous y a invité Albert Jacquard : Réinventer l’humanité, retrouver le sens de la bienveillance, de l’entraide, du partage, de l’équité, de la coopération…1 Ce ne sera pas chose facile tant il est vrai que les tenants des approches néolibérales ont adroitement dévalorisé ces concepts pour les tourner en dérision et les présenter comme mièvres, dépassés et incompatibles avec le progrès… C’est dans ce contexte, alors qu’il va être tant question de relancer l’économie et de renouer avec la sacro-sainte croissance, que nous allons devoir rappeler avec force que Nous n’avons qu’une Terre2, qu’elle est notre unique MATRIE – pour reprendre le terme cher à Edgard Morin – et que nous nous devons de l’habiter comme des frères. Nous ne pouvons espérer y parvenir qu’en faisant appel aux plus hautes valeurs de l’humanité, en élargissant les approches relatives aux « biens communs » et en donnant la priorité aux solutions de type coopératif qui sont au cœur de l’économie sociale et solidaire.
Au début du siècle dernier le concept de « République coopérative » fut enseigné par Charles Gide au Collège de France ; il est aujourd’hui bien ignoré mais il est permis d’espérer qu’il reviendra, fort opportunément, enrichir les débats auxquels nous n’allons pas échapper et dans lesquels nos associations vont devoir fortement s’impliquer. Elles contribueront ainsi a convaincre notre Président – et nos concitoyens – qu’il existe bien d’autres « valeurs » que celles qui ont pris le pas sur toutes les autres depuis l’époque Reagan – Thatcher et dont nous commençons aujourd’hui a mesurer toutes les conséquences.
Jean-Claude PIERRE
1 Réinventons l’humanité. Albert Jacquard. Sang de la Terre – 2013
2 Nous n’avons qu’une Terre. René Dubos. Denoël – 1971