Pouvez-vous tout d’abord nous présenter cette proposition loi, ses origines et ses objectifs ?
Cette proposition de loi fait suite aux préconisations du rapport parlementaire « Et si on mangeait local… » adopté en juillet 2015 par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Elle s’inscrit dans la continuité des auditions menées par la mission d’information parlementaire sur les circuits courts et la relocalisation des filières agro-alimentaires. Elle vise à introduire 40% de produits labellisés, en circuits courts restauration collective publique et 20% de produits issus de l’agriculture biologique.
Que peut-elle changer sur le terrain ?
L’approvisionnement de la restauration collective en produits biologiques et locaux constitue un défi pour les territoires et demande un engagement à tous les niveaux. Cela passe par l’instauration d’une démarche collective, transversale, et sur le long terme autour d’un projet de territoire, mobilisant l’ensemble des acteurs et des filières. Le projet alimentaire de territoire, inscrit dans la loi d’avenir agricole, offre un cadre adapté pour relocaliser les systèmes alimentaires, de la production à la consommation tout en recréant du lien entre le champ et l’assiette. Cette démarche vise à la fois à procurer au plus grand nombre une alimentation diversifiée et de qualité, mais aussi à encourager des systèmes de production agricoles moins polluants, porteurs d’avenir, d’emplois et respectueux de la santé humaine, comme de la biodiversité. De plus, elle permet une meilleure rémunération des producteurs. L’engagement des élus locaux est une condition importante de la réussite du projet, tout comme l’adhésion de l’ensemble des acteurs. Mais tout le monde a à y gagner, en devenant acteur de l’usage et du partage du foncier, de la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et de la lutte contre le réchauffement climatique.
La restauration collective vous paraît-elle être un levier concret pour développer l’économie locale ? Peut-elle participer à la construction de solutions durables à la crise agricole bretonne ?
La restauration collective sert dix millions de repas par jour. Elle constitue un levier majeur de la puissance publique pour développer les circuits courts de proximité et la filière biologique locale. « Produire local pour manger local », il s’agit bien de changer d’échelle en régionalisant les filières agricoles et agro-alimentaires. C’est possible et bénéfique pour l’emploi, l’environnement et le lien social. La consommation locale a un effet immédiat sur le développement de l’économie locale, du tourisme et de l’attractivité du territoire par la valorisation des savoir-faire locaux et du patrimoine. Si les ventes des produits en circuits courts et locaux atteignaient 10 % du chiffre d’affaires global de l’alimentation, les circuits courts et de proximité pourraient créer entre 80 000 et 100 000 emplois, des emplois non-délocalisables et valorisants. C’est une chance à saisir pour notre région, frappée de plein fouet par les crises successives dues à un modèle agricole à bout de souffle, basé principalement sur des productions à faible valeur-ajoutée destinées à l’export.
La restauration collective est-elle un moyen efficace pour changer les habitudes alimentaires ?
Oui, incontestablement. Bien manger à l’école, c’est prendre des habitudes que l’on conservera tout au long de sa vie d’adulte. Plus largement, de nombreuses expériences ont démontré que manger local entraînait des comportements plus responsables : recherche de produits bio, réduction du gaspillage alimentaire, tri des déchets, etc.
Cette loi peut-elle participer à faire changer les pratiques agricoles vers plus de durabilité ?
Face à des accords marchands internationaux générateurs de casse et de dumping social, prendre en main nos politiques alimentaires nous rend acteurs de l’aménagement de nos territoires, de nos emplois, de notre santé, de notre environnement. En s’inscrivant dans le cadre d’une restauration publique durable et responsable, les collectivités locales vont favoriser l’installation ou la conversion de producteurs sur leurs territoires et la structuration de filières bio locales, tout comme d’outils de transformation. Par ailleurs, la réforme territoriale va conférer aux nouvelles régions des pouvoirs accrus en termes de développement économique : il s’agit d’une opportunité à saisir pour à nouveau articuler agriculture et alimentation sur tous les territoires. L’approvisionnement local de la restauration collective représente un support indéniable pour faire évoluer nos pratiques agricoles vers plus de durabilité.
Le grenelle de l’environnement fixait déjà cet objectif pour 2012 ! Le contexte est-il plus favorable aujourd’hui ?
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation a fait de l’ancrage territorial de la production l’un des objectifs de la politique agricole et alimentaire. Le marché alimentaire bio, quant à lui, a été multiplié par 4 en plus de 10 ans. Aujourd’hui, tous les signaux sont au vert pour développer les circuits courts, de qualité et de proximité. Sur les territoires, une multitude de moyens de commercialisation de produits de qualité, locaux et bio, se développent et cherchent à se structurer. De nombreuses initiatives émergent partout en France, qu’elles soient privées ou publiques. Les Français sont indéniablement de plus en plus soucieux de ce qu’ils ont dans leur assiette et celle de leurs enfants.
On a pu entendre que la production agricole biologique française n’était pas suffisante pour permettre d’appliquer cette loi, qu’en est-il ?
Oui, c’est un argument encore trop souvent entendu et qui révèle une méconnaissance de la filière, qui s’est fortement structurée ces dernières années. Moins de 400 000 ha suffiraient à fournir les 20% de produits bio en restauration collective. Or l’agriculture bio représente 1,3 millions d’ha en France fin 2015 et 220000 ha ont été convertis uniquement en 2015. La question centrale n’est pas celle-là mais celle de l’organisation de filières et de l’adéquation entre offres et demande locales. Aujourd’hui, plus de 20 plateformes de producteurs bio existent en France, couvrant plus de 70% des départements. Pour pouvoir se développer et se consolider, ces filières ont désormais besoin d’engagements forts de la part des acheteurs de la restauration collective, souvent habitués à commander auprès de grossistes généralistes. L’instauration d’un dialogue entre acheteurs, gestionnaires et producteurs locaux est l’une des clés de la réussite.
Cette loi va-t-elle se traduire par une augmentation du prix des repas en restauration collective ?
L’objectif est au contraire de permettre à toutes les populations de consommer des produits de qualité, un des enjeux premier étant de lutter contre les inégalités nutritionnelles. Il faut savoir que 30% de l’alimentation est jetée dans les cantines ! En réduisant le gaspillage, c’est autant d’argent économisé pour réinvestir dans les produits locaux et de qualité. De nombreuses collectivités ont démontré qu’il était possible de passer au 100% local et bio sans augmenter le coût du repas, voire en le diminuant, à l’exemple de Mouans-Sartoux dans le Sud.
L’introduction de produits bio et locaux est souvent l’occasion d’une remise à plat des pratiques (lutte contre le gaspillage, plus de céréales et légumineuses en remplacement des produits carnés…), permettant de maitriser les coûts.
Les dispositions de cette proposition de loi ont-elles de bonnes chances d’être adoptées dans la loi Égalité et Citoyenneté ?
Elles ont été adoptées par l’Assemblée Nationale en juillet. Au Sénat, l’amendement que j’ai déposé reprenant ces dispositions a été rejeté fin septembre par la Commission spéciale du Sénat en charge de l’examen des amendements sur le projet de loi Égalité et citoyenneté, jugé irrecevable au motif qu’il n’aurait pas de liens, même indirects, avec le texte. Convaincu qu’il y aurait eu cette fois-ci une majorité pour voter cette mesure, le groupe écologiste a saisi le Président du Sénat, Gérard Larcher, pour lui faire part de son mécontentement. Le Sénat a été privé de débat! Ces dispositions seront à nouveau défendues par Brigitte Allain lors du retour du texte à l’Assemblée Nationale en nouvelle lecture en cas d’échec (probable) de la commission mixte paritaire. Elles auront alors de grandes chances d’être adoptées.